Projek FEED
Projek FEED lutte contre la pauvreté en apprenant aux membres de familles en difficultés économiques à gérer leurs propres entreprises. Nur Diyana Sulaiman, cofondatrice, présente son programme de mentorat et explique comment son entreprise autonomise les familles pauvres dans les régions rurales.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Nur Diyana Sulaiman. Je suis en dernière année à l’université et je suis PDG de Projek FEED Management Services.
Qu’est-ce qui vous a incité à créer une entreprise sociale avant même de terminer l’université ?
À Brunei, les étudiants effectuent un travail communautaire pendant ce que l’on appelle l’« année de découverte ». C’est là que j’ai rencontré mes cofondateurs, Ahmad Fadillah et Nazmah Samad, qui ont probablement aimé mon éthique professionnelle et m’ont donc invitée à lancer l’entreprise avec eux tout en recrutant d’autres membres. Nous étions en juin 2020.
Les familles que j’ai rencontrées pendant notre travail ensemble m’ont beaucoup inspirée. J’ai réalisé qu’il existe un écart de connaissances entre les familles en difficultés économiques et la classe moyenne. Les premières n’ont souvent aucune connaissance financière et ne savent pas comment commercialiser leurs produits. Elles ne savent pas non plus comment assurer la pérennité de leur entreprise et de leurs moyens de subsistance. Projek FEED a pour objectif de réduire cet écart.
Que fait Projek FEED ?
Projek FEED a vu le jour sous la forme d’une ONG appelée Projek Bina Ukhwah lancée en 2017. L’année dernière, nous l’avons restructurée pour en faire une entreprise sociale, mais sans en modifier la vision : nous voulons lutter contre la pauvreté et aider les familles en difficultés économiques à retrouver des moyens de subsistance pérennes.
Pour cela, nous avons créé deux grands programmes. Le premier est un programme de mentorat (FEED Mentoring Programme), qui offre du mentorat à des personnes issues de familles à faible revenu. Nous engageons des mentors d’origines variées qui leur apprennent ce qu’est l’entrepreneuriat et les aident à améliorer leur estime d’elles-mêmes et leur état d’esprit.
Le deuxième est baptisé programme d’autonomisation des villages (Village Empowerment Programme). Nous faisons don de tondeuses aux chefs de village. Les personnes en difficultés économiques peuvent les emprunter gratuitement et proposer des services de tonte dans le village. Cela leur permet d’avoir des revenus quotidiens.
Quelle valeur particulière créez-vous pour les familles ?
Peut-être connaissez-vous le dicton : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. Nous voulons apporter aux gens les connaissances dont ils ont besoin pour générer leurs propres revenus afin de pouvoir faire vivre leurs familles.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre programme de mentorat ?
Le programme dure six mois. L’objectif est que les participant·e·s créent leurs propres entreprises. Nous leur enseignons donc la finance, la communication et les subtilités de la gestion d’entreprise, notamment la création de plans d’urgence et la gestion des risques. Nous les aidons également sur le plan mental en abordant des thèmes tels que la spiritualité et la confiance en soi. Nous recherchons aussi des sponsors et des business angels prêts à investir dans leurs start-ups.
Avant d’inscrire les participant·e·s au programme, nous vérifions qu’il·elle·s veulent vraiment changer de vie et qu’il·elle·s sont capables de s’engager sur la durée en faveur du programme. Nous cherchons également à connaître leurs compétences et leurs centres d’intérêt. Il faut trois à quatre mois pour apprendre à les connaître et déterminer si le programme leur convient.
Un de nos participants, par exemple, fabrique des cages en PVC personnalisées pour animaux de compagnie. Nous avons trouvé un business angel pour lui et nous l’avons aidé à gérer son entreprise. Il gagne maintenant 2 000 BN par mois.
Quelles seraient les alternatives possibles pour vos participant·e·s ?
Il existe à Brunei certaines ONG et initiatives gouvernementales qui ciblent les familles en difficultés économiques. Mais la plupart d’entre elles se contentent de distribuer de l’aide. Il existe également une initiative gouvernementale baptisée DARe, qui propose des formations à l’entrepreneuriat, mais ces dernières sont dispensées en anglais. Nos formations sont faites en malais, une langue que nos participant·e·s ont plus de facilité à suivre. Nos mentors parlent également la langue de la souffrance : ce sont des entrepreneur·e·s à succès qui sont d’anciens prisonnier·ère·s ou qui viennent eux·elles-mêmes de familles à faible revenu.
Combien de personnes Projek FEED a-t-elle touchées à ce jour ?
Notre premier groupe de participant·e·s vient tout juste de terminer la formation. Six personnes ont achevé le programme et une septième (l’homme qui produit des cages en PVC) est partie plus tôt car elle avait déjà beaucoup de succès. Quatre de nos participant·e·s étaient des femmes, pour la plupart mères célibataires.
Dans le programme d’autonomisation des villages, nous travaillons actuellement avec quatre villages. Ils ont reçu en moyenne trois tondeuses, qui sont toutes utilisées quotidiennement.
Nous sommes également en contact régulier avec 150 familles qui avaient été ciblées par l’ONG qui nous a précédés. Nous les aidons de différentes manières, par exemple en leur fournissant de la nourriture ou en proposant le nom des membres de la famille en âge de travailler à des entreprises susceptibles de les employer.
Nous estimons que notre programme autonomise non seulement ces individus mais l’ensemble de leurs familles.
Comment mesurez-vous l’impact que vous avez ?
Dans le programme d’autonomisation des villages, les chefs de village collectent des données sur le rythme d’utilisation des machines et sur les familles qui les ont utilisées. Ces données sont importantes, mais le feedback le plus utile pour nous est quand d’autres chefs de village nous contactent et nous demandent que le programme vienne aussi dans leur village.
Dans le programme de mentorat, nous assurons actuellement le suivi de tou·te·s les participant·e·s qui ont achevé leur formation. Leurs moyens de subsistance avaient déjà commencé à s’améliorer de manière substantielle avant la fin du programme. L’impact le plus mémorable est quand nos participant·e·s utilisent activement les enseignements acquis dans leur entreprise et voient leur estime d’eux·elles-mêmes et leur état d’esprit s’améliorer.
Comment financez-vous vos programmes ?
Pour l’instant, nous ne facturons rien aux participant·e·s. Nous définirons peut-être des frais d’inscription à l’avenir, que les entreprises sponsors paieront pour les participant·e·s.
Au lieu de cela, nous recevons des subventions et des investissements, à la fois financiers et en nature. Nous avons, par exemple, contacté de grandes entreprises afin qu’elles nous fournissent des chaises et des tables pour nos salles de classe. Elles veulent que notre programme réussisse. Le gouvernement a aussi offert de nous aider et nous apprécions son soutien en faveur d’une initiative destinée à lutter contre la pauvreté dans l’ensemble du pays.
L’année dernière, nous avons également géré une filiale commerciale baptisée Bakamas, qui proposait des services de tonte de gazon. Nous avons toutefois dû fermer cette filiale et nous étudions aujourd’hui d’autres alternatives possibles.
Au total, nous avons levé 10 000 dollars l’année dernière.
Comment allez-vous développer votre entreprise ?
J’aime bien cette question, car elle permet d’imaginer les possibilités infinies qui s’ouvrent à nous pour améliorer l’entreprise.
Nous aimerions raccourcir le programme de mentorat à trois mois, en le rendant plus intense et plus efficace. Nous pourrions ainsi en organiser deux par an. Nous prévoyons également d’inviter les participant·e·s de promotions précédentes à venir enseigner.
Dans le programme d’autonomisation des villages, nous voulons également proposer des machines de lavage de voitures et des fours pour offrir des services de boulangerie. Il y a tant de possibilités de développer le programme.
Lorsqu’elle faisait encore partie de l’ONG, Projek FEED servait également de plateforme permettant à d’autres entreprises de gérer leurs programmes de RSE. Après le changement d’identité en 2020, nous avons rencontré des difficultés pour redémarrer cette fonctionnalité. Mais nous aimerions la relancer plus tard.
De quoi avez-vous besoin pour concrétiser ces projets ?
Principalement de personnes supplémentaires. Nous avons besoin à la fois de personnel et de bénévoles pour mettre en œuvre nos idées. Comme toutes jeunes entreprises, nous avons également besoin de capital. Nous recherchons des sponsors et des investisseurs, mais nous voudrions également relancer une filiale à but lucratif.
Quelles difficultés votre entreprise a-t-elle déjà surmontées ?
La principale est de trouver du personnel. Nous sommes toutefois aidés par de nombreux bénévoles qui ont beaucoup d’engagements différents. En outre, sachant que nous sommes une très jeune entreprise, il a fallu du temps aux membres de notre équipe pour s’habituer les uns aux autres. Nous avons résolu ce problème en utilisant un processus de consolidation d’équipe et nous travaillons maintenant de manière beaucoup plus efficace. Nous sommes également toujours confrontés à certains obstacles financiers.
Qu’est-ce qui vous incite à continuer ?
Nous étions sur le point de dissoudre l’entreprise lorsque certains de nos membres fondateurs ont dit que Projek FEED était utile et nécessaire et qu’il serait vraiment dommage qu’elle disparaisse. Ils croient vraiment dans la vision et dans la mission de cette initiative. Les interactions passionnantes avec les familles en difficultés économiques nous aident également à continuer. C’est ce qui nous motive pour avancer ensemble.
Quelles recommandations avez-vous à offrir à d’autres jeunes entreprises ?
Nous n’hésitons pas à demander de l’aide à des entreprises privées, à des sponsors et à des investisseurs. Cela a été très important pour nous. Nous voulons rassembler tout le monde autour d’une bonne cause utile à la société.
Les récits à impact sont produits par le réseau iBAN (Inclusive Business Action Network). Ils sont créés en étroite collaboration avec les entrepreneur·e·s et les équipes mentionné·e·s. La production de ce récit à impact a été dirigée par Susann Tischendorf (concept), Sara Karnas (vidéo), Katharina Münster (texte et infographies), Christopher Malapitan (illustrations), et Alexandra Harris (édition). La musique est libre de droits. Les photographies sont fournies par Projek FEED.
Mise à jour : 08/2021.