L'entreprise inclusive au service de l'autonomisation des femmes
Chaque jour, environ 810 femmes meurent de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. L’Organisation mondiale de la santé estime que la plupart de ces décès sont évitables.
Au Nigeria, Temie Giwa-Tuboson est résolue à faire baisser ce chiffre. « Personne ne devrait mourir en donnant la vie », explique l’entrepreneure inclusive. Pour sauver les femmes souffrant d’hémorragie post-partum, elle a fondé une entreprise de logistique médicale qui prend soin des patients pauvres et à faible revenu. « Si vous nous appelez à deux heures du matin, nous ferons ce qu’il faut pour vous livrer ce dont vous avez besoin, quel que soit le lieu », dit-elle. Depuis 2016, LifeBank a contribué à sauver 20 000 patientes.
Comme LifeBank, de nombreuses entreprises inclusives s’occupent des femmes à faible revenu. Elles proposent des produits et services essentiels, autonomisent leurs employées ou offrent des sources de revenus durables à des femmes au sein de leurs chaînes de valeur.
Pourquoi les entreprises inclusives doivent-elles se préoccuper des femmes ? Comment intègrent-elles les femmes et comment peut-on les aider ?
Pourquoi les entreprises inclusives sont-elles bien placées pour autonomiser les femmes ?
Les entreprises inclusives ciblent des secteurs et des thèmes qui sont particulièrement importants pour la vie des femmes. Il s’agit notamment des soins de santé, de l’éducation, de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement. Les difficultés d’accès à ces services affectent plus les femmes que les hommes pour des raisons biologiques et culturelles. Par exemple, l’utilisation de combustibles de cuisson dangereux nuit davantage à la santé des femmes qu’à celle des hommes.
Il existe un marché inexploité répondant mieux aux besoins des femmes dans des secteurs tels que la santé maternelle, les services financiers ou l’énergie. Chetna Gala Sinha, fondatrice de Mann Deshi Bank and Foundation, n’aurait jamais imaginé fonder une banque jusqu’au jour où des femmes lui ont expliqué qu’elles avaient besoin d’ouvrir un compte d’épargne. Mann Deshi Bank est la première banque coopérative d’Inde rurale destinée aux femmes.
Les femmes représentent une partie importante de la main-d’œuvre dans certains des secteurs dans lesquels œuvrent les entreprises inclusives. Rags2Riches est une entreprise inclusive de bout en bout qui fournit des moyens de subsistance à des femmes artisans qui créent des articles de mode à partir de restes de tissus. Comme l’explique Reese Fernandez-Ruiz, présidente et fondatrice de l’entreprise, il est tout à fait fortuit que Rags2Riches travaille avec des femmes. C’est le cas uniquement parce que la majeure partie des artisans de la communauté sont des femmes. Frontier Markets, un service de livraison de biens durables au dernier kilomètre, a décidé de ne recruter que des femmes comme revendeuses. L’entreprise en tire des avantages incomparables sachant que les zones rurales et isolées du pays se caractérisent par l’existence d’un solide réseau de femmes.
En incluant des populations pauvres et à faible revenu dans la chaîne de valeur, les entreprises inclusives contribuent à l’autonomisation économique des femmes. Dans les communautés à faible revenu, les femmes sont souvent plus désavantagées que les hommes en ce qui concerne l’accès aux ressources et aux opportunités et la prise des décisions. Cela a un impact négatif sur leur bien-être, particulièrement en termes de santé, de nutrition et d’éducation. Les entreprises inclusives contribuent à l’autonomisation des femmes en les intégrant volontairement dans leurs chaînes de valeur. Par exemple, l’entreprise agroalimentaire indonésienne HARA ne travaille qu’avec des petites agricultrices et des conseillères agricoles.
Lorsque les femmes sont tirées vers le haut, les familles en bénéficient énormément et les sociétés se développent ainsi davantage. « Les femmes jouent un rôle central dans le développement », explique Robert Kraybill, directeur de l’information d’Impact Investment Exchange. « Elles investissent jusqu'à 10 fois plus de leurs revenus que les hommes dans le bien-être de la famille, notamment dans la santé des enfants, l’éducation et la nutrition. » « Investir dans les femmes est une action intelligente et déterminante pour réduire la pauvreté à grande échelle », ajoute Ajaita Shah, fondatrice de Frontier Markets. C’est pour cette raison qu’Alliance Ginneries, une entreprise d’égrenage de coton active en Tanzanie, en Zambie et au Zimbabwe, a créé des projets communautaires pour aider ses agricultrices.
Que font les entreprises inclusives pour aider les femmes ?
Il existe de nombreux exemples passionnants d’entreprises qui bénéficient explicitement et implicitement aux femmes grâce à leurs modèles d’affaires inclusifs.
- En fournissant des biens et services adaptés aux besoins des femmes : selon l’Organisation mondiale de la santé, l’hémorragie post-partum est la principale cause de mortalité maternelle dans les pays à faible revenu et est à l’origine de pratiquement un quart des décès maternels dans le monde. Au départ, LifeBank a été créée pour aider les mères souffrant d’hémorragie post-partum. Elle est maintenant devenue une entreprise de logistique médicale qui livre des fournitures telles que du sang, des médicaments, des vaccins et de l’oxygène au Nigeria, au Kenya et en Éthiopie.
- En luttant contre des problèmes spécifiques aux femmes : plus de 2,6 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à un appareil de cuisson non polluant. Dans de nombreuses parties du monde, les femmes sont quotidiennement exposées à la fumée et aux risques associés à la collecte de bois dans des conditions dangereuses. Betty Ikalany a créé Appropriate Energy Savings Technologies pour offrir aux femmes l’accès à des appareils de cuisson non polluants et à du combustible abordable. Active dans les secteurs de l’énergie propre et de la distribution au dernier kilomètre, Linda Wamune comprend, elle aussi, que les femmes sont celles qui souffrent le plus de l’absence d’infrastructures et d’énergie propre. Elle a fondé Econome, une entreprise qui distribue des produits utilitaires domestiques aux foyers ruraux kényans.
- En créant des sources de revenus pour les femmes : OBRI Tanzania travaille avec des petites agricultrices pour produire de l’huile de tournesol destinée à la cuisson. Brigitha Faustin, fondatrice et PDG de l’entreprise, comprend les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées et veut les aider. All Women Recycling est une petite entreprise basée au Cap qui recycle des bouteilles en plastique usagées et les transforme en cartes de vœux et en coffrets cadeaux. En recrutant et en formant de jeunes chômeuses noires, l’entreprise réduit la pollution plastique tout en autonomisant un groupe de population parmi les plus vulnérables de la société sud-africaine.
- En créant un environnement de travail favorable aux femmes : l’apiculture est traditionnellement une occupation masculine en Zambie. Nature’s Nectar utilise des ruches modernes pour permettre aux agricultrices de travailler en tant qu’apicultrices car elles n’ont plus besoin de grimper aux arbres ou de passer leur journée au champ.
Quelles mesures est-il possible de prendre pour soutenir davantage les femmes grâce à l’entreprise inclusive ?
Pour les entreprises inclusives elles-mêmes, il est important d’écouter les femmes. Elles peuvent ainsi aider les entreprises à concevoir un modèle d’affaires inclusif capable de bénéficier aux femmes et de les autonomiser. En tant que cofondatrice et directrice du personnel de Good Nature Agro, Kellan Hays organise régulièrement des discussions avec les employées de l’entreprise pour s’assurer que leurs voix sont entendues. Reese Fernandez-Ruiz souligne également combien il est important d’avoir des conversations ouvertes avec les femmes artisans pour leur présenter des outils susceptibles de les aider. Dans le cas de Frontier Markets, l’entreprise a appris que c’était les femmes qui utilisaient les produits achetés par les hommes. En leur parlant, l’entreprise a pu obtenir des informations précieuses qui lui ont permis d’adapter ses produits aux besoins des consommateur·rice·s.
Pour les décideurs politiques, il est important d’améliorer les conditions-cadres de l’entreprise inclusive. Ils peuvent ainsi promouvoir la sensibilisation et l’échange d’informations, offrir des incitations ou éliminer les risques associés à l’investissement dans une entreprise inclusive. Les décideurs politiques et les bailleurs de fonds internationaux doivent appliquer une perspective de genre à toutes ces activités. L’ANASE, par exemple, a validé les Lignes directrices pour la promotion de l’entreprise inclusive au sein de l’ANASE en 2020. Le document suggère l’utilisation d’une procédure d’agrément pour les entreprises inclusives, qui englobe également deux critères sur l’égalité de genre. Cela permet aux entreprises d’accroître leur visibilité, de contrôler l’impact qu’elles ont sur le genre et de créer des modèles positifs pour d’autres entrepreneur·e·s. Au Cambodge, cette recommandation a déjà été mise en œuvre. Parmi les 18 premières entreprises qui doivent être agréées, dix ont un impact positif sur les femmes. Plus généralement, l’entreprise inclusive peut combler les divisions institutionnelles entre croissance économique et égalité de genre.
Au niveau des investisseurs, il est crucial de lutter contre les difficultés auxquelles les entrepreneures et les entreprises axées sur les femmes sont confrontées pour obtenir des financements. Impact Investing Exchange (IIX) a identifié certains des principaux défis auxquels les femmes sont confrontées dans les pays en développement : déficit de produits financiers innovants, manque d’appui logistique pour les petites et moyennes entreprises dirigées par des femmes et absence de mesure de l’impact axée sur le genre. IIX a donc décidé de créer la série Women’s Livelihood Bond afin d’aider les institutions de microfinance et les entreprises qui œuvrent en faveur des femmes à offrir des moyens de subsistance durables aux femmes mal desservies. « Un des meilleurs moyens de rehausser l’impact de notre capital est d’investir dans des fonds et des plateformes intermédiaires qui, à leur tour, investissent dans les femmes par le biais d’entreprises sensibles au genre », note Jessica Espinoza, vice-présidente en charge des investissements en fonds propres et en capital-risque chez DEG/KfW et présidente de 2X Challenge. Dans le cadre de l’engagement de 2X, un portefeuille de fonds vedettes 2X est en cours d’élaboration pour promouvoir la diversité de genre dans le secteur de l’investissement. Les fonds adoptent une perspective de genre pour investir dans des entreprises respectueuses du genre et des créateur·rice·s d’entreprise sous-représenté·e·s. iBAN gère des programmes de préparation à l’investissement pour aider les entreprises inclusives à lever des capitaux auprès d’investisseurs à impact. La sensibilité à l’égalité de genre joue un rôle décisif dans la procédure de demande. Cela nous a permis non seulement d’aider des entreprises axées sur les femmes dans leurs efforts de levée de fonds, mais aussi de montrer subtilement qu’en mettant l’accent sur les femmes, les entreprises inclusives peuvent réussir.
Enfin, nous devons tous améliorer la visibilité des entreprises inclusives axées sur les femmes et faire en sorte que les voix des entrepreneures soient entendues. Il est établi que les créatrices d’entreprise manquent de réseaux et de modèles visibles. Elles ont besoin de nouvelles solutions plus globales pour échanger des idées, se former aux stratégies de préparation à l’investissement qui fonctionnent dans leur contexte, trouver l’inspiration et gagner en confiance en rencontrant d’autres femmes ayant réussi à lever des fonds de capital-risque. Grâce aux récits, nous pouvons créer des modèles d’entrepreneures à succès et montrer que l’entreprise inclusive permet d’autonomiser les femmes. Nos récits à impact sur l’entreprise inclusive racontent l’histoire d’entreprises inclusives à succès et de leur impact social. La chaîne Instagram Global Scale Up X, une initiative conjointe d’iBAN et de MIT D-Lab, met exclusivement l’accent sur les créatrices d’entreprises et leur accès à la finance. Elle vise non seulement à améliorer la sensibilisation mais aussi à créer un réseau mondial d’entrepreneures à impact. En créant des modèles et en luttant contre les stéréotypes, elle fait évoluer l’état d’esprit des acteurs de l’écosystème et des entrepreneur·e·s émergent·e·s. Elle vise à renforcer la confiance des femmes en matière de levée de fonds et à approfondir leurs connaissances de la dynamique de cette activité, de manière à combler le fossé qui sépare les hommes et les femmes sur le plan financier. En 2020, iBAN s’est associé à la CNUCED pour ajouter une catégorie « entreprise inclusive » au Prix Empretec des femmes chefs d’entreprise. La lauréate, Julian Omalla, fondatrice et PDG de Delight Uganda, a bénéficié d’un investissement important de la part du gouvernement ougandais, qu’elle a directement attribué à l’obtention du prix. Son exemple montre que la communication sur la participation des femmes à l’entreprise inclusive permet non seulement de faire évoluer les normes sociales sur le long terme, mais aussi d’attirer les investisseurs : un argument sur lequel insiste la fondatrice de Catalyst at Large, Suzanne Biegel, dans son récit publié dans notre magazine en ligne CLUED-iN.