Brimore
Brimore met en relation des propriétaires de marque émergentes et un réseau de vendeur·euse·s individuel·le·s qui commercialisent leurs produits sur les réseaux sociaux. Cela aide les fournisseurs à accéder au marché tout en apportant un revenu décent aux vendeur·euse·s. Plus de neuf vendeur·euse·s sur dix sont des femmes : les mères n’ont souvent que très peu d’autres options pour gagner de l’argent sans enfreindre les normes culturelles.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Ahmed : je m’appelle Ahmed Sheikha et je suis directeur commercial de Brimore. Fin 2017, j’ai cofondé l’entreprise avec Mohamed Abdulaziz. Je suis ingénieur de formation et titulaire d’un master en entrepreneuriat et en gestion de l’innovation.
Nada : je m’appelle Nada Samy et je suis la dernière arrivée de l’équipe de Brimore. Je travaille sur l’investissement à impact et le développement commercial.
Que fait Brimore ?
Ahmed : Brimore est une plateforme de commerce social et de distribution parallèle. Nous mettons en relation des propriétaires de marques et un réseau de vendeur·euse·s individuel·le·s qui commercialisent leurs produits sur les réseaux sociaux. Cela aide les fournisseurs à accéder au marché tout en apportant un revenu décent aux vendeur·euse·s.
Comment votre modèle fonctionne-t-il en pratique ?
Ahmed : 92 % de nos vendeur·euse·s sont des femmes. Elles accèdent à une application et choisissent entre 8 000 produits différents. Puis elles reçoivent des commandes via leurs réseaux sociaux et les passent sur l’application. Notre entreprise d’expédition livre les produits chez elles et les femmes les vendent aux consommateur·rice·s finaux·ales.
Quels problèmes votre modèle permet-il de résoudre ?
Ahmed : les circuits de vente établis ne travaillent pas pour les marques émergentes en Égypte. La technologie, par contre, leur permet de pénétrer les marchés locaux par l’intermédiaire de réseaux informels. Nous sortons leurs produits des grandes villes : 70 % de nos ventes se font dans des zones rurales, dont 10 % en limite du désert. Ces communautés sont sous-desservies. Grâce à Brimore, elles ont accès à des biens de consommation courante tels que des produits de soins personnels et des appareils électriques.
Quelle valeur spéciale créez-vous pour les vendeur·euse·s ?
Ahmed : les femmes égyptiennes ont peu d’opportunités de travailler. Il est culturellement inacceptable qu’elles laissent leurs enfants et il n’existe que très peu de garderies. Avec Brimore, elles peuvent gagner de l’argent chez elles sans expérience préalable. Tout ce dont elles ont besoin, c’est d’un réseau et de persévérance. Elles n’ont même pas besoin de capital initial ; nombre d’entre elles demandent aux consommateur·rice·s finaux·ales de payer à l’avance. Nous leur fournissons des supports marketing et nous leur enseignons les bases.
Nada : nous nous regroupons également avec d’autres organisations pour créer de la valeur supplémentaire pour les femmes. Le mois dernier, nous nous sommes associés à INJAZ et à son initiative « Saving for Good » avec HSBC pour offrir un programme de formation à la finance à nos vendeuses. Nous devrions également bientôt signer les Principes d’autonomisation des femmes d’ONU Femmes.
Combien les vendeuses gagnent-elles ?
Ahmed : la plupart d’entre elles veulent contribuer à subvenir aux besoins de leurs familles. Ces femmes gagnent entre 100 et 200 USD par mois. Mais environ 10 % d’entre elles travaillent dans un état d’esprit différent. Elles se spécialisent dans certains produits, achètent en vrac et se mettent en relation avec des négociants dans le pays. Certaines gagnent 20 000 USD par mois. Laila, mère célibataire de neuf enfants, a même aidé sa belle-sœur à ouvrir un magasin dans une autre ville.
Comment les femmes peuvent-elles se développer en tant que vendeuses ?
Ahmed : nous les accueillons et nous leur proposons une formation au marketing numérique. Il existe des formations ciblées pour tous les niveaux : débutant, intermédiaire, expérimenté.
Nada : nous avons lancé un programme complet de développement des partenaires qui cible différents aspects de leur apprentissage et de leur vie quotidienne. Nous leur proposons des formations internes grâce à un site Internet préparé avec du contenu pertinent, ce qui leur permet d’obtenir un certificat à la fin de la formation. Nous proposons également ces programmes de développement en partenariat avec d’autres organisations telles que le programme INJAZ dont nous avons parlé tout à l’heure. En outre, nous essayons d’optimiser les opérations internes pour les aider à en profiter davantage et à avoir une meilleure expérience professionnelle.
Ahmed : les vendeuses expérimentées peuvent également créer des boutiques physiques grâce à notre modèle de franchise. Nous leur fournissons une stratégie de marque, un système standardisé et des solutions financières. C’est un excellent moyen d’accroître notre couverture et d’impliquer les familles des femmes. Nous expérimentons actuellement ce modèle avec une dizaine de boutiques. Notre objectif est d’en établir un millier en 2022.
Combien de personnes touchez-vous ?
Ahmed : la première année, nous avons travaillé avec environ 500 vendeur·euse·s. Aujourd’hui, 70 000 sont inscrit·e·s sur l’application et 20 % à 25 % d’entre eux·elles sont actif·ive·s chaque mois. Du côté de l’offre, nous travaillons avec 3 000 entreprises.
Quels ont été les bénéfices pour les fournisseurs ?
Ahmed : les fournisseurs qui n’employaient qu’une seule équipe chaque semaine produisent maintenant 24h/24 et 7 jours par semaine et ils ont embauché plus d’employés. Certains ont multiplié leur production par 20. Nous avons notamment interviewé le PDG d’Al-Ahram Cookware, un de nos fournisseurs, qui nous a dit : « l’entreprise a été fondée en 1963 et notre taux de croissance habituel était d’environ 10 % à 20 % ; mais, depuis qu’Al-Ahram Cookware a rejoint Brimore, nous avons enregistré un taux de croissance de 100 % ».
Comment mesurez-vous l’impact que vous avez ?
Nada : nous nous sommes associés à 60 Decibels, une entreprise qui mesure l’impact de bout en bout et produit un rapport d’impact pour évaluer notre travail auprès des vendeuses. Selon le rapport, 88 % de nos vendeuses disent que leur qualité de vie a changé depuis qu’elles travaillent avec Brimore. Nous utilisons aussi l’outil d’impact BCtA pour identifier les ODD sur lesquels nous travaillons et définir des indicateurs d’ODD pour nos projets. Enfin, nous nous sommes associés à un cabinet de conseil en impact égyptien pour travailler sur notre modèle de théorie du changement et créer nos propres outils afin de mesurer et d’évaluer notre impact en continu.
Qu’est-ce qui rend votre modèle d’affaires financièrement viable ?
Ahmed : chacune de nos transactions est rentable. Les fournisseurs nous accordent une remise sur le prix grand public, que nous répartissons entre les vendeur·euse·s, les coûts d’exploitation et nos marges. Ces dernières années, nous avons également levé 30 millions d’USD d’investissements pour financer notre croissance. En outre, nous desservons un énorme marché de 20 à 30 milliards d’USD.
Pouvez-vous nous dire quel est votre chiffre d’affaires annuel ?
Ahmed : nous prévoyons un chiffre d’affaires de 100 millions d’USD cette année. Même pendant la pandémie de Covid-19, notre activité a augmenté : de toute manière, la plupart des vendeurses restent chez·eux·elles et les gens utilisent les réseaux sociaux plus souvent.
Bénéficiez-vous d’aides extérieures ?
Nada : nous avons reçu l’aide et le financement d’un certain nombre d’investisseurs, notamment d’IFC. Nous avons également de solides partenariats. Nous sommes notamment membre de Business Call to Action (BCtA).
Comment allez-vous vous développer ces prochaines années ?
Ahmed : nous voulons toucher 500 000 vendeur·euse·s d’ici 2023 et nous étendre en Afrique de l’Est et en Afrique du Nord. Notre objectif est d’atteindre 40 millions de consommateur·rice·s par le biais d’un premier ou d’un deuxième degré de séparation. Pour cela, nous mettrons davantage l’accent sur les personnes que nous acceptons. Nous voulons attirer des femmes plus jeunes et nous développer de manière plus stratégique dans des domaines mal desservis. Nous souhaitons également élargir notre gamme de produits et cibler de nouveaux segments de marché, par exemple, les étudiant·e·s.
Que prévoyez-vous d’autre ?
Ahmed : nous travaillons aussi sur un programme de développement des fournisseurs. Pour aider nos fournisseurs à se développer, nous les formerons au développement commercial, au financement et au numérique. Nous expérimentons actuellement ce programme auprès de 300 fournisseurs environ. Si les résultats sont bons, nous l’étendrons à tous.
De quoi avez-vous besoin pour concrétiser ces projets ?
Ahmed : le plus difficile est incontestablement de trouver des talents. Nous devons aussi lever davantage de fonds. Des subventions et des investissements à impact nous aideraient à garder le même niveau d’agressivité dans la mesure de l’impact que celui que nous avons dans la partie commerciale.
Quelles difficultés Brimore a-t-elle déjà surmontées ?
Ahmed : au départ, nous voulions fabriquer des produits. Mais nos investisseurs nous ont quittés et nous avons dû repartir de zéro. Nous avons licencié tout notre personnel avant de le réembaucher quelques mois plus tard. Cela a été notre plus grand défi. Aujourd’hui, nous continuons à nous battre contre certaines réglementations, contre l’irrégularité des fournisseurs, contre le manque de fonds et contre les pénuries de talents.
Qu’est-ce qui vous incite à continuer ?
Ahmed : nous avons une équipe de terrain. Cela nous inspire de voir la créativité dont les vendeur·euse·s font preuve pour mener leurs activités.
Nada : j’ai toujours voulu travailler dans un secteur qui me permettrait d’avoir un impact. Parler aux vendeur·euse·s et aux fournisseurs et voir que Brimore a réussi à les aider m’inspire plus que la seule lecture des résultats financiers.
Quelles recommandations avez-vous à offrir à d’autres entreprises inclusives ?
Ahmed : l’impact social est presque toujours un produit dérivé d’une activité. Pourtant, l’équipe dirigeante doit l’avoir en tête lors de la conception et l’optimiser de manière consciente. Dans le même temps, de nombreuses entreprises inclusives mettent trop l’accent sur le développement et manquent de dynamisme. J’estime que le meilleur outil de développement consiste à créer des relations commerciales gagnant-gagnant avec les gens. Pour être inclusive, votre entreprise doit réussir.
Les récits à impact sont produits par le réseau iBAN (Inclusive Business Action Network). Ils sont créés en étroite collaboration avec les entrepreneur·e·s et les équipes mentionné·e·s. La production de ce récit à impact a été dirigée par Susann Tischendorf (concept), Sara Karnas (vidéo), Katharina Münster (texte), Christopher Malapitan (illustrations), Olachi Opara (infographies) et Alexandra Harris (édition). La musique est libre de droits. Les photographies sont fournies par Brimore.
Mise à jour : 12/2021.