Kennemer Foods International
Kennemer Foods International est une entreprise de production durable de denrées alimentaires basée aux Philippines. Hormis la production de cacao et d’autres cultures, elle aide les petit·e·s exploitant·e·s et contribue à la conservation des forêts selon un modèle topographique à trois niveaux. Voyez comment son fondateur, Simon Bakker, utilise les crédits carbone pour financer des services de vulgarisation financière !
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Simon : je m’appelle Simon Bakker. Quand j’ai fondé Kennemer Foods en 2010, je voulais simplement produire du cacao. Aujourd’hui, nous protégeons l’environnement et nous aidons les petit·e·s exploitant·e·s de Mindanao aux Philippines.
Fe (photo ci-dessous) : je m’appelle Fe Gumanoy Ogyo et mon père et mon mari sont producteurs de cacao. Notre famille cultive des cacaoyers et des durians depuis plusieurs générations sur quatre hectares de terres. C’est notre principale source de revenus. Je dirige un groupe de cultivateur·rice·s qui travaille avec Kennemer.
Comment Kennemer Foods aide-t-elle les petit·e·s exploitant·e·s et l’environnement ?
Simon : nous avons mis au point une approche topographique. Dans les plaines, nous aidons les agriculteur·rice·s à accroître leurs rendements et à devenir plus professionnel·le·s. Cela permet de créer des emplois dans ces régions et empêche les jeunes d’avoir à abattre des arbres pour créer des exploitations agricoles non rentables sur les plateaux. Sur les plateaux, nous investissons dans la remise en état des forêts (plantation d’arbres) et nous gérons un programme pour les cultivateur·rice·s. Ce programme forme les agriculteur·rice·s à un système d’agroforesterie à cultures multiples pour remplacer la culture sur brûlis. Dans les hautes terres, nous travaillons avec les peuples autochtones à la conservation des forêts. La déforestation résulte de l’absence de moyens de subsistance durables, ce qui nous a incités à élargir notre programme à destination des cultivateur·rice·s et à l’adapter aux pratiques locales. Nous nous sommes également mis d’accord sur les zones à protéger et à surveiller.
Quel est l’objectif des cultures multiples ?
Simon : pour planter des cacaoyers, de nombreux·euses agriculteur·rice·s empruntent auprès de notre société financière, Agronomika. Les arbres poussent très lentement et la récolte est très limitée pendant les trois premières années. Cela signifie que le prêt n’est pas productif, ce qui n’est pas bon pour les flux de trésorerie des agriculteur·rice·s. C’est pour résoudre ce problème que nous avons introduit les cultures multiples. En outre, l’agroforesterie est bonne pour les sols, et les arbres d’ombrage comme le bananier sont bénéfiques pour les cultures.
Pourquoi gérez-vous également une société financière ?
Simon : lorsque nous avons lancé l’entreprise, nous avons rapidement réalisé qu’il nous fallait davantage d’arbres pour nous développer. Les banques publiques ne proposaient pas les prêts à long terme dont les agriculteur·rice·s avaient besoin pour planter des cacaoyers. Après avoir travaillé avec les banques pendant quelques années, nous avons décidé de créer notre propre société financière, Agronomika, en 2016. Nous n’avons ainsi plus besoin de courir après les quelques coopératives solvables agréées par le gouvernement. Au lieu de cela, nous pouvons travailler avec de petits groupes d’agriculteur·rice·s.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces groupes d’agriculteur·rice·s ?
Fe : notre coopérative aide les agriculteur·rice·s qui en sont membres à avoir un revenu pérenne. En partenariat avec Kennemer, elle leur donne accès à des subventions publiques et leur fournit des plants de qualité pour réussir leurs cycles de croissance. Les agriculteur·rice·s membres reçoivent aussi des incitations à la fin de la saison d’achat pour les encourager à planter davantage de cacaoyers.
Quels bénéfices les agriculteur·rice·s tirent-il·elle·s de votre modèle d’affaires ?
Simon : nous déblayons le terrain pour eux. Pour rendre la commercialisation et les achats d’intrants plus efficaces, nous regroupons les agriculteur·rice·s en clusters si les coopératives ne sont pas efficaces. Dans les régions où aucun intrant de qualité n’est disponible, nous leur en fournissons. Grâce à Agronomika, nous offrons des prêts agricoles personnalisés. Nous garantissons également un marché, non seulement pour le cacao, mais aussi pour d’autres fruits et graines. Cela signifie que les agriculteur·rice·s ont des revenus réguliers et à long terme qui proviennent de sources variées. En fonction de ce qu’il·elle·s cultivaient avant de se lancer dans le cacao en culture intercalaire, les agriculteur·rice·s peuvent augmenter leurs revenus de 100 % à 200 %.
Fe : avant de travailler avec Kennemer, nous avions du mal face à l’instabilité du marché du cacao. Nous devions aussi faire sécher les fèves nous-mêmes, car il n’y avait pas de marché pour les fèves non séchées à l’époque. La haute saison est aussi la saison des pluies, ce qui signifie que les fèves commençaient aussi parfois à pourrir. Les prix étaient alors extrêmement bas. Maintenant que nous sommes associés avec Kennemer, nos vies sont devenues plus confortables. Nous n’avons plus besoin de nous préoccuper de faire sécher les fèves car ils ont des installations de qualité pour cela. Quand nous les avons contactés, ils nous ont immédiatement aidés à acquérir une part de marché durable.
Comment votre modèle d’affaires intègre-t-il les femmes ?
Fe : la plupart des membres qui participent aux activités et aux réunions hebdomadaires sont des femmes. La culture du cacao leur convient bien car elles peuvent appliquer des pratiques agricoles durables. La fin de la saison de récolte exige toutefois un travail physique important. C’est pourquoi nous battons le rappel des troupes pour finir la récolte.
Simon : plusieurs communautés de cultivateur·rice·s se sont créées d’elles-mêmes après notre arrivée ici et nombre d’entre elles sont dirigées par des femmes. Le cacao est une culture neutre au regard du genre car il est récolté lentement. Si les arbres sont situés à proximité de leur domicile, les femmes peuvent y aller une fois par semaine pour récolter les cabosses. Les agriculteur·rice·s sont d’ailleurs souvent des femmes car les hommes se font embaucher ailleurs pour gagner de l’argent. Il est également fréquent que le travail soit partagé. Par exemple, les contrats de prêt sont signés par les deux conjoints.
Combien d’agriculteur·rice·s touchez-vous ?
Simon : actuellement, nous travaillons avec 19 000 agriculteur·rice·s à Mindanao.
Quels ont été les bénéfices pour l’environnement ?
Fe : par rapport à d’autres cultures, le cacao entraîne moins d’érosion des sols et de pertes de nutriments.
Simon : nous avons également planté 20 millions d’arbres à ce jour.
Comment mesurez-vous l’impact que vous avez ?
Simon : nous suivons la hausse des revenus des agriculteur·rice·s, le nombre d’agriculteur·rice·s formé·e·s et plusieurs indicateurs environnementaux : émissions de gaz à effet de serre, arbres plantés et hectares de terres affichant une meilleure durabilité. Pour mesurer ces indicateurs, nous avons créé notre propre plateforme technologique. Nous utilisons des données satellites pour analyser les terres et des drones pour évaluer les exploitations agricoles. Nous assurons également le traçage des cultures et nous calculons numériquement certains indicateurs d’impact.
Comment générez-vous des revenus ?
Simon : nous avons trois sources de revenus : Agronomika, les cultures et les crédits carbone. La plupart de nos cultures sont produites pour le marché international. Nous nous associons à de grands acheteurs multinationaux qui accordent de la valeur à l’impact que nous créons. En outre, nous avons récemment commencé à vendre des crédits carbone pour financer notre travail de vulgarisation. Nous plantons des cacaoyers et des arbres d’ombrage, nous piégeons le carbone dans le sol et nous gérons des projets de reforestation. Cette année, nous avons commencé à vendre des crédits carbone à un producteur de chocolat qui veut compenser ses émissions. En 2021, nous devrions atteindre un chiffre d’affaires total d’environ 20 millions d’USD.
Qu’est-ce qui rend ce modèle viable ?
Simon : la région ANASE est très demandeuse de cacao : le marché représente environ un milliard d’USD. Il est encore plus important pour les excellentes bananes des Philippines, notre deuxième culture. Sans compter que le marché du carbone devrait également progresser de manière significative.
Bénéficiez-vous d’aides extérieures ?
Simon : nous collaborons avec différentes ONG et organisations de développement. Par exemple, la GIZ et le gouvernement néerlandais se sont associés pour créer certains de nos programmes et ont assuré des formations. Ces dernières concernaient principalement des améliorations systémiques telles que notre infrastructure informatique.
Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Simon : nous prévoyons de devenir une plateforme d’approvisionnement agricole neutre en carbone d’ici 2025. Pour cela, nous allons investir dans la reforestation et agrandir nos programmes de conservation des forêts REDD+ qui devraient atteindre 250 000 ha. Cela nous permettra d’obtenir des réductions d’émissions certifiées VCS de plus pour plus de 4 millions de tonnes de carbone sur 10 ans. La vente des crédits carbone nous permettra d’offrir des bourses et d’autres nouveaux services aux membres de nos communautés. Nous voulons également nous développer. Actuellement, nous sommes responsables de 70 % des exportations de cacao des Philippines car le secteur est encore émergent ici. Pour le développer, nous devons planter davantage d’arbres. C’est pourquoi Agronomika s’apprête à faire passer son portefeuille de prêts de 2,5 millions d’USD actuellement à 35 millions d’USD d’ici 2030. Nous investissons également dans l’arpentage par drone et dans des capteurs agricoles reliés à des satellites. L’accès à des données sur les nutriments, les maladies et la gestion de l’eau nous aidera à accroître nos rendements de 30 % à 40 %. Nous voulons également augmenter le nombre d’exploitations gérées par des entreprises.
Fe : mon objectif pour les 10 prochaines années est d’augmenter la valeur de nos fèves de cacao.
Et quelle est votre ambition à long terme pour l’entreprise ?
Simon : nous voulons devenir un acteur majeur dans la région asiatique : pas uniquement pour le cacao, mais pour de multiples cultures. Lorsque les entreprises achètent des produits, elles veulent de plus en plus souvent savoir si ces derniers ont été produits de manière durable. Nous devrions donc avoir la possibilité de développer notre activité.
Quels éléments prouvent votre potentiel de croissance rentable ?
Simon : nous sommes rentables et nous nous sommes agrandis. Kennemer Foods existe depuis 10 ans, ce qui est plus que la plupart des acteurs du secteur.
De quoi avez-vous besoin pour vous développer ?
Simon : nous devrons trouver des financements supplémentaires et continuer à investir. De nombreux financements climatiques et à impact sont disponibles, cela ne devrait donc pas être trop difficile. Le contexte s’est beaucoup amélioré depuis 10 ans.
Quelles difficultés avez-vous surmontées ?
Simon : travailler avec des petit·e·s exploitant·e·s est une lutte incessante. Au début, il y avait un obstacle à chaque étape de notre parcours – financement, matériel de plantation, changement climatique, formation des agriculteur·rice·s à nos protocoles. Il faut soit apporter des solutions soi-même, soit trouver des partenaires capables de le faire. Les personnes qui travaillent dans notre secteur doivent être capables de résoudre les problèmes. Le risque est de se laisser enfermer dans de petits problèmes transactionnels qui vous ralentissent. Nous avons donc identifié les problèmes les plus courants chez les agriculteur·rice·s et résolu ceux qui nous semblaient les plus importants.
Fe : le plus gros problème auquel je suis confrontée est le changement climatique : il prolonge la saison, réduit le nombre de fleurs de cacao et entraîne une recrudescence des maladies et des infections. Nous pourrions parfois prévenir ces problèmes, mais cela nous coûterait très cher. Notre contribution est peut-être limitée, mais nous participons à la lutte contre le changement climatique grâce aux pratiques agricoles durables que nous avons apprises auprès de Kennemer.
Qu’est-ce qui vous incite à continuer ?
Simon : il y a toujours des réussites qui vous motivent. Il est difficile de sortir de la pauvreté, mais, avec un peu de patience, on peut y arriver. Il est aussi appréciable de voir que les gens se soucient dorénavant d’acquérir des produits auprès de la bonne chaîne de valeur.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres créateurs d’entreprises inclusives ?
Simon : n’ayez pas peur d’être ambitieux. Vous devez prendre des risques pour tenter d’avoir un impact car les problèmes que vous rencontrerez seront complexes et systémiques. Vous devrez collaborer avec des gouvernements, des ONG et des financiers ; n’ayez donc pas peur de demander de l’aide.
Les récits à impact sont produits par le réseau iBAN (Inclusive Business Action Network). Ils sont créés en étroite collaboration avec les entrepreneur·e·s et les équipes mentionné·e·s. La production de ce récit à impact a été dirigée par Susann Tischendorf (concept), Sara Karnas (vidéo), Katharina Münster (texte), Christopher Malapitan (illustrations), Olachi Opara (infographies) et Alexandra Harris (édition). La musique est libre de droits. Les photographies sont fournies par Kennemer Foods International.
Mise à jour : 12/2021.